[S17] En manque de fringues [Fini]

La coupant dans ses pensées, Kellran l'invita avec un sourire un peu raté à boire un jus d'orange. Malgré les actions de Rayka, il faisait de son mieux pour garder la bonne ambiance qu'il y avait avant cet incident. La jeune fille était touchée du geste, personne ne se montrait aussi attentionné avec elle, si ce n'était par obligation. Lui le faisait par amour.
Dans les yeux de Rayka brilla des larmes de tristesse mais aucune ne coulèrent, elle avait oublié comment faire, les abandonnant aux faibles. Elle voulait se croire forte, quelles tortures s'était-elle faites subir pour en arriver ici, et aujourd'hui, presque tout tombait à l'eau pour un sentiment qu'elle n'avait pas prévu de ressentir un jour, ne sachant même pas qu'une émotion pouvait exister dans ce bas monde.

*Pardonne-moi...*

Elle lui sauta presque dessus, le forçant à reculer un peu, le serrant très fort contre elle. Quelle chance ! Quelle chance ! Mais pauvre de lui ; devoir subir les mauvais moments de la jeune fille qu'elle s'était pourtant habituée à cacher. Il avait presque complètement détruit ce qu'elle avait toujours construit. Et elle ne lui en voulait pas, elle prenait sur elle. Comme toujours. Elle leva la tête vers lui, les yeux brillants comme deux cristaux qu'on mettait au Soleil après les avoir mouillés, un cheveux dans la bouche. Elle lui sourit du mieux qu'elle pouvait.

"Je veux bien... merci..."

"Merci"...

Lorsqu'elle lui sauta dessus, il ne put s'empêcher de sourire, sourire qu'il cacha en baissant la tête et en serrant très fort contre lui cette fille qui lui faisait tourner la tête.
Il vit du coin de l'oeil que la libraire souriait aussi, sans doute émue par une telle démonstration d'amour.
Le pyromancien embrassa tendrement sa compagne puis la tira doucement vers la sortie.

- Allez, viens.

Il eut du mal à détacher ses yeux de ceux de Rayka, qui brillaient d'un tel éclat... il aurait pu se perdre dans ce regard, y plonger et rester des heures à l'admirer. Mais mieux valait éviter de faire cela alors qu'ils bloquaient l'entrée du magasin.
Avec un dernier geste de la tête pour la libraire, ils se retrouvèrent dans l'avenue, cherchant du regard une terrasse où s'installer.
Kellran en trouva une, à moitié dans l'ombre d'un parasol, à moitié au soleil. L'astre commençait à taper fort, et la fraîcheur du matin laissait place à une chaleur qui allait croissante.
En fait, cette chaleur dérangeait un peu le pyromancien, dont le sang ne cessait jamais de bouillonner, comme s'il couvait un feu puissant en lui.
Il se sentait beaucoup mieux en hiver, où l'air froid diminuait sa température corporelle jusqu'à un niveau acceptable.
De plus, son amour des habits sombres attirait sur lui la lumière du soleil qui le réchauffait encore plus.
Il tira une chaise, faisant un signe de la main à Rayka.

- Si mademoiselle veut bien se donner la peine.

Il lui adressa cette fois un grand sourire non crispé. Il avait retrouvé toute sa bonne humeur, comme d'habitude, et comptait bien profiter de cet instant pour faire oublier à l'aéromancienne tous ses tracas.

- Un jus d'orange pour toi alors?

Ils s'installèrent sur une terrasse, Kellran avait retrouvé son sourire éblouissant. Un sourire qui calmait les tourments de la jeune aéromancienne aux cheveux verts qui penchaient plutôt vers la couleur azurée du Ciel sous les rayons de l'Etoile Diurne.

"Un jus d'orange pour toi alors ?"
"Oui."

Toujours un peu gênée, elle se contenta d'un seul mot comme répondre. Pas de "s'il te plaît", pas de "merci". Le seul merci qu'elle disait, c'était pendant les cours de bienséance, jamais à ses suivantes, gouvernantes ni même à sa mère. Seul Kellran y avait eu droit, décidément, il lui aura tout pris. Mais elle y consentait avec soumission. Sur le plan sentimental, il était bien au-dessus d'elle et elle ne pouvait le nier. Cela n'empêchait en rien que c'était un sentiment agréable bien qu'un peu harassant parfois vu les états dans lesquels Rayka était mise. Elle le regarda avec des yeux très doux, il était en face d'elle, une main sur la table qui n'échappait plus à celle de l'aéromancienne amoureuse. Elle croisa leurs doigts, l'autre bras accoudé sur la table qui tenait sa tête. Elle caressait la main de son aimé en jouant avec la brise, le Soleil dans le dos. Elle avait tout d'un ange à ce moment-là.

Dans le "oui" qu'elle lui répondit, Kellran ressentit une certaine gêne sans doute provoquée par cet instant assez intime qui les embarassait tous les deux. Aucun des deux n'était réellement habitué aux situations de l'amour, et bien que le pyromancien soit naturellement tendre avec sa compagne, il ne savait pas comment agir.
Tout se faisait instinctivement, avec parfois des erreurs de débutant que Rayka semblait pardonner aussi facilement que lui pardonnait ses erreurs.
C'était sans doute ça l'amour, un pardon mutuel des erreurs, quelques essais, des gestes timides, et enfin un abandon total à la passion qui les poussait l'un vers l'autre.
Et en parlant de geste timide, Rayka avait pris la main du jeune homme dans la sienne, jouant avec ses doigts, caressant le dos de sa main avec une telle douceur que Kellran en frissonnait.
A chaque fois, c'était la même chose. Le coeur du garçon se mettait à battre violemment dans sa poitrine, tandis qu'il sentait un feu puissant s'allumer en lui et brûler tout son corps.

*Si ça continue, je ne pourrai plus me passer d'elle. A chaque instant qui passe, je deviens un peu plus amoureux, un peu plus dépendant... bientôt, elle m'aura pris tout entier, et je ne pourrai plus jamais la quitter*

Et au fond de lui, Kellran se disait que ça lui convenait très bien.
En attendant, il réussit à retirer sa main de celle de Rayka, bien qu'il aurait aimé ne pas le devoir, et se redressa.
Il lui fallait toujours une dose de volonté énorme pour échapper à son regard émeraude, pour détourner les yeux et penser à autre chose.
C'était... presque effrayant.

- Je vais chercher les boissons, dit-il avec une note d'amusement dans la voix. Je reviens.

Il rentra dans le café, commanda les boissons, et deux minutes plus tard il se trouvait assis à la table, en face de Rayka. Il fit glisser vers elle le verre de jus d'orange, un zeste du fruit glissé au bord du verre avec une petite ombrelle, comme on voyait en vacances sous les tropiques.
Pour lui, c'était un verre de bière. Il était surpris de trouver ici une bière purement belge, la Kriek Extra à la cerise, sa préférée. Il n'avait pu s'empêcher d'en commander une pour lui, car elle lui rappelait à la fois son pays et ses envies d'antan, alors qu'il rêvait de trouver l'amour. Et maintenant, tout cet amour était tourné vers la personne qu'il admirait face à lui.

- Tu as envie de faire quoi après? Il y a encore plein de boutiques qu'on peut visiter, ou alors on peut juste se promener... ou on peut rentrer à l'E3.

Kellran avait l'air d'avoir beaucoup de mal à se détacher des caresses légères de l'aéromancienne, ce qui amusait celle-ci. Lui aussi avait un petit point faible, le même que celui de l'aéromancienne cela dit.
Il se leva pour aller prendre boissons. Rayka le regarda marcher jusqu'à replonger instantanément dans le cercle vicieux qu'étaient ses souvenirs douloureux...

... ... ...

"Bonjour, tu es ?"
"Appelez-moi Neige, ma demoiselle Rayka."
"Neige ? Drôle de nom... Tu connais déjà mon prénom !?"
"Bien sûr, vous êtes ma maîtresse, ma demoiselle Rayka."
"Oh... Mais tu as mon âge... c'est chiant."
"Ne dites pas cela, ma demoiselle Rayka. Cela n'est point digne d'une personne de votre rang. Votre mère m'a choisie pour vous servir."
"Je te préfèrerai en tant qu'amie qu'en tant que servante. Je n'ai pas d'amis, et toi ?"
"Vous êtes ma seule préoccupation désormais, ma demoiselle Rayka."
"Appelle-moi Rayka, Neige, et soyons de bonnes amies toi et moi ! Et regarde-moi dans les yeux au moins."

...

"Non ! Laissez-la !"
"Rayka ! Tout est de ma faute, je n'aurais jamais du ! Pardonne-moi... Kyah !"
"Non ! Neige ! Neige !!"

...

"Quelle horreur... Neige..."

...

"Bonjour, Rayka..."
"De quel droit m'appelles-tu ainsi ? Je suis ta maîtresse, montre-moi respect, crainte et obéissance !"

... ... ...

"Tu as envie de faire quoi après? Il y a encore plein de boutiques qu'on peut visiter, ou alors on peut juste se promener... ou on peut rentrer à l'E3."
"Qu.. Pardon ? Ah... l'E3..."
*Qu'est-ce qui m'arrive...*

La paume de sa main maintenait sa tête par le front, le visage de Rayka était en sueur. Miracle pour la jeune fille qui avait toujour su régler sa température quelque soit le temps et son humeur. Elle revint à la normale en buvant son jus d'orange bien que sa main tremblait encore un peu. Les souvenirs l'avaient à nouveau submergée, encore un peu et...

"Faisons comme tu veux. Je te suivrais mais ne tardons pas trop : c'est interdit de sortir, tu te souviens."

Kellran acquiesça et sirota assez lentement sa bière.
Elle était fruitée et mousseuse à souhait, au point qu'il en ait sur ses lèvres. Elle était délicieuse, malgré le fait qu'elle ne vienne pas d'un fût.

*On ne peut pas tout avoir, hein?*

Ses yeux ne quittaient pas Rayka, pas une seconde. Il voyait que quelque chose n'allait pas, à nouveau, mais préférait ne rien dire.
Mais elle semblait souffrir, ce qui indiquait soit des souvenirs douloureux, soit des souvenirs tristes, ce qui revenait au même en fait.
Le pyromancien baissa cette fois les yeux sur son verre et réfléchit. Mieux valait rentrer à l'école, cela éviterait les soucis et aiderait peut-être Rayka à penser à autre chose.
La bière descendait à vitesse presque alarmante. Il ne savait pas quand il aurait l'occasion d'en boire une autre, mais tant pis.
Il vida le reste d'un trait, et se leva assez brusquement.

- Eh bien, je pense qu'il vaut mieux retourner, avant qu'on aie des ennuis.

Il réussit à lui sourire et fit un geste.

- Tu viens?

Rayka lui prit la main sans finir sa boisson, elle n'était plus en état d'apprécier quoique ce soit sauf peut-être la présence de celui qu'elle aimait. Sa main tremblait doucement, laissant entrevoir sa plus grande faiblesse : l'influence de sa mémoire. Mais comment vivre sans après tout ? C'est peut-être bien là la base de toute vie, sans mémoire, que serions-nous. Rien.
Elle serrait la main de Kellran assez fort sans bien s'en rendre compte. Il lui sourit mais elle comprenait bien que leur sortie en amoureux se finissait mal et elle savait au fond d'elle que c'était de sa faute. Elle n'aurait pas du et pourtant, elle l'a fait. L'aéromancienne se sentait tellement désolée pour son ami que ça lui en donnait des douleurs cardiaques.

Elle baissa les yeux pendant tout leur retour, ne voulant lâcher un mot. Elle se contentait de garder la main du pyromancien dans la sienne, l'autre tenait le foulard blanc qu'il lui avait offert.

"Je suis... vraiment désolée.. Kellran."

C'était bien la dernière fois qu'elle l'appelait par son prénom et elle se sentait bizarre de le faire. "Le rouquin" lui allait bien pourtant mais en ce moment, il n'y avait plus de place à l'humour. Elle garda les yeux baissés en signe de tristesse, les joues un peu rouges ; mal à l'aise de ce qu'elle lui faisait subir. Malheureusement, il était le seul à qui elle ne savait pas mentir sur son humeur. C'était ça... l'amour ?
Ils continuèrent à marcher, accompagnés d'un silence pesant...

Kellran était déçu, pas seulement parce que leur première sortie en tête à tête s'était terminée de manière un peu froide, mais surtout parce qu'il n'avait pas réussi à éviter que cela se produise.
Dans sa tête, il se sentait un peu nul, en fait même beaucoup, car un petit ami digne de ce nom aurait pu changer les idées de sa copine.
Méritait-il vraiment d'être son petit ami? Il n'en était pas sûr du tout, mais bon...

Lorsqu'il entendit Rayka s'excuser, il remarqua qu'elle avait pris sa main, et qu'ils avaient déjà bien avancé vers l'école. Un peu étonné, il lui fallut quelques secondes pour répondre.

- Ne t'inquiète pas.

Il tourna la tête vers elle, et lui dédia un sourire rassurant. Il souriait beaucoup, à tel point que ça pouvait parfois paraître idiot.
Rares étaient les personnes qui souriaient autant sans doute, mais c'était sa manière à lui de cacher certains sentiments qui l'avaient rendu, au delà des apparences, dur et inflexible.
Une personnalité que peu de gens connaissaient chez lui. Même Rayka ne devait pas avoir conscience de ce côté sombre qui se cachait chez son compagnon.

- Je ne t'en veux pas. Comment le pourrais-je?

Il lui caressa tendrement la joue, s'attardant quelques secondes sur ses lèvres qu'il effleura du bout du pouce. Puis il lui adressa un clin d'oeil.

- Quand on sera revenus à l'E3, on fera un petit tour dans le parc. J'ai bien envie de voir les surprises qu'il récèle.

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