[Semaine 6] Une blessée dans la nuit (fini)

[ Suite de Une arrivée inattendue dans le Hall ]

Plus que quelques pas, voilà. La porte coulisse, un nouveau coup de coude et la petite pièce dévoile sa blancheur d'aspirine. Prenant grand soin de ne pas brusquer de trop l'elfe fiévreuse, les humains la soulèvent de leur mieux, cherchant d'abord à l'asseoir sur le lit avant de l'allonger sur le dos. Un coup d'oeil puis Rin éloigne Keen en le poussant par l'épaule. Au bureau d'Alassea, elle griffonne une autorisation, l'apprenti-Éléméntaliste en aura besoin s'il rencontre un surveillant après le couvre-feu.

"Keen, vous allez chercher l'infirmière, elle doit être à son cabanon à l'heure qu'il est. Vous montrerez ce document si on vous pose des questions. Vous ne reviendrez pas ici et regagnerez votre dortoir directement je vous prie."

Ce ne sont pas les réprimandes et la sanction qu'il attendait mais un ordre de mission. Serrant le morceau de papier entre ses doigts tremblants, le garçon sort de la salle de soins à toutes jambes sous le regard attentif de l'intendante. Elle n'aurait peut-être pas dû le laisser partir seul mais des surveillants quadrillent le secteur, il devrait rapidement tomber nez à nez avec l'un d'eux.
Le messager est en route, retour à l'intruse. L'élève semblait inquiet quant à son état. Rin non ; il n'y a toujours aucune pitié dans son regard de glace. Debout près de l'étrangère, insensible à ses sourires rassurants, elle remplit son rôle de superviseur des mesures de sécurité.

"Qui êtes-vous et que faisiez-vous là ?"

Autant l'avait-elle ménagé en la transportant, autant cette fois-ci les mots se font-ils plus directs en l'absence de témoin. Pas une once de chaleur dans sa voix, mais pas un gramme d'agressivité non plus. Juste un ton neutre et un visage vierge d'émotions. Et des yeux bleus qui cherchent la vérité.

[Je n'ouvre pas un nouveau topic. Et je "contrôle" l'infirmière? Je crois qu'elle n'est plus là...]
Keen et l'intendante emmenèrent l'elfe à l'infirmerie ou le garçon avait déjà eu une fois l'occasion de s'y rendre. Les murs blancs immaculés semblaient, dans la nuit, guetter les nouveaux-venus. Les deux humains déposèrent la blessée sur son lit et, tout en griffonant un mot sur un bout de papier qu'elle tendit à l'élève fautif, lui demanda de courir chercher l'infirmière à son cabanon et de ne pas revenir. Le garçon acquiessa, trop heureux de ne pas être puni, et sortit à vive allure. Il n'y avait aucun bruit dans les couloirs ; Keen ne savait pas si il devait être rassuré ou inquiet. Personne signifie pas de surveillant pour l'engueuler mais personne signifie aussi être seul dans un grand bâtiment de verre dans la nuit. Il accéléra le pas, trébucha sur son pantalon trop long, se releva et reprit sa course folle en direction des cabanons. Il sortit, frissona à cause de la température froide d'une nuit d'été, et, se dirigeant vers les cabanons du personnel, chercha celui de l'infirmière. Il se ressemblaient tous et, même si ils étaient beaucoup moins nombreux que ceux des élèves, chercher dans le noir était une tâche bien pénible pour le garçon qui trouva ce qu'il désirait après dix bonnes minutes. Il toqua à la porte. Il entendit le grincement d'un lit. Il re-toqua. Cette fois-ci, la lumière s'alluma dans la cabane en bois et, après quelques secondes de bousculade dûes à l'heure tardive, la porte s'ouvrit sur une infirmière en robe de chambre, les cheveux en batailles, les yeux mi-clos. La jeune femme demanda :

"Kekiya?"

L'élève frissona, non pas à cause du froid mais plutôt en raison de son attitude. En effet, se faire réveiller au milieu de la nuit par un élève n'avait rien d'amusant. Il répondit cependant après avoir inspiré :

"L'intendante réclame votre présence à l'infirmerie. Une jeune femme blessée est arrivée à l'E3 il y a quelques minutes."

L'infirmière sembla sortir de son demi-sommeil car elle ouvrit des yeux ronds. Elle lanca un rapide coup d'oeil à sa montre avant de lancer d'une voix un peu paniquée :

"Merci, tu peux aller te coucher."

Puis elle ferma la porte. Des bruits traversèrent le mince panneau de bois, comme si la jeune femme se préparait rapidement. Le garçon, lui, bailla et se dirigea vers son cabanon en se demandant ce que pouvait bien cacher l'elfe blessée...

Ceux qui gardent le Temps s'assurent de son bon écoulement. Le Sable des événements immobiles s'égrène entre leurs doigts afin que les aiguilles de la Grande Horloge retrouvent l'élan perdu. Les individus se raniment, le Fil du Temps est réparé.

Aucune réponse et un silence entrecoupé de profondes inspirations. L'intruse est vraiment mal en point et est à peine consciente. Soudain, des pas précipités dans le couloir se font entendre et une frimousse jeunette avec une tresse turquoise mal nouée apparaît dans l'encadrement de la porte : Alassea. L'interrogatoire tourne court. Ne laissant pas l'infirmière approcher, Rin l'agrippe fermement par le bras, l'entraînant hors de la pièce. La porte coulisse de nouveau pour préserver ce qu'elle s'apprête à murmurer.

"Mademoiselle, je ne vous empêche pas de faire votre travail. Toutefois, j'ignore l'identité et les intentions de cette personne. Aussi, j'accepte que lui soient donnés les soins adéquats. Mais pas qu'elle soit en état de quitter l'infirmerie. S'il le faut, je ferai en sorte que ce soit le cas. De mes mains." dit-elle les yeux ancrés dans ceux de la jeune femme sortie précipitamment de son lit.

Le message délivré sur un ton glacial est passé. Alassea n'a pas le choix : si elle panse trop bien les blessures de la malade, Rin reviendra lui briser les jambes pour la retenir en ces murs. Elle est jeune après tout, les os se ressoudent bien, surtout si la cassure est nette. Lâchant son étreinte, elle se prépare à quitter les lieux.

"Je vais poster deux surveillants ici, vous pourrez aller vous reposer une fois votre travail accompli.
- Je vous remercie mais je resterai auprès de ma patiente." dit l'infirmière en affrontant le regard dur de sa collègue.

Le risque est trop grand que l'intendante aux yeux de glace ne revienne faire du mal à l'elfe affaiblie. Rester à ses côtés est le meilleur moyen d'atteindre les objectifs qu'on lui fixe.

"Comme vous voudrez. Je vous souhaite une bonne nuit."

Et sans cérémonie, Rin de tourner les talons. Une fois hors de vue, elle s'adosse à un mur. Hypoglycémie, encore. Elle serait restée mais elle se sent de plus en plus faible. L'effort soudain, la tension nerveuse, ça use, elle doit reprendre son souffle. Deux surveillants qui passent par là, parfait. Ses instructions données, elle peut faire son détour par les cuisines avant de retourner dans ses appartements.