[ Semaine 17 ] À flots (Fini)

Dernière édition par ExNihilo Rin le Mar 29 Sep 2009 - 2:39, édité 3 fois

Semaine 17 - Mardi, 9ho9

Il ne fait pas bon se baigner aujourd'hui : le ciel est clair mais c'est bien parce que le vent soutenu a chassé les troupeaux de nuages. Vivement il caresse la surface de l'eau et la ridule de mille plis. 9hoo viennent de sonner et l'intendante devrait déjà être dans son bureau. Sauf qu'elle n'y est pas. Non, ses bottines sont là sur la plage tandis que ses pieds avancent dans l'eau peu profonde. Sa crinière de feu emmitouflée dans un foulard kaki, retour au temps où elle chassait les minéraux : un pull olive long au col si étiré qu'on en voit une épaule et aux fibres si détendues par le temps que ma frêle demoiselle doive en reconstituer la forme par un jeu de lacets noirs. Un premier sous la poitrine enserre ses côtes en plusieurs tours brouillons, d'autres font de même à la naissance des longues manches évasées, au niveau des aisselles. Quant à ses cuisses, un short râpé par ses excursions en Asie du Sud-Est les laisse nues, dévoilant les nombreuses cicatrices qu'elle en garde sur les mollets.

Slash, slash, fendent le liquide iodé ses chevilles de porcelaine. Slap slap, volent au vent les pans de son bandana. Sat sat, perce l'immatérialité d'une cible invisible la lance asiatique. En ces temps difficiles où le Directeur est introuvable, quand bien même c'est le bâton long qu'elle manie le mieux, ce dernier est resté au cabanon. S'il n'y avait que cela. Des élèves ont disparu. Encore. Lundi matin, absents de leurs dortoirs. Malgré le couvre-feu, malgré les tours de gardes. Azrel aussi avait disparu. Et on ne l'a toujours pas retrouvé lui...

Par sa position centrale, de nombreuses choses incombent désormais à la jeune fille au teint de craie, faute de professeur volontaire. Il a fallu prendre des décisions. Suspendre les cours aurait été trop risqué : tant qu'ils sont en salle de classe, les adolescents sont en sécurité. Les surveillants ont donc été mobilisés, comme au temps de l'alerte aux bêtes à cornes, afin de faire des rondes plus régulièrement.

Avec lenteur, la lame dessine des huit latéraux, le poignet et le coude pour seules articulations mobiles en guise d'assouplissement. Et commence la danse : les jambes se fléchissent, les épaules se déverrouillent. Mouvements lents, et brusquement assauts, piques et tranchants obliques ponctuent la chorégraphie. Petit à petit, l'Élément s'en mêle, suivant la lame aux gravures spirales en de minces filets d'abord, en lignes plus denses ensuite, jusqu'à former l'habituel ruban aqueux. Sous la forme de l'infini, il entoure l'agile silhouette tel une boucle sifflante.

Près de ses chaussures, le spectateur unique s'est endormi dans un bout de couverture parme. Roulé en boule, la peluche au pelage blanc et masque couleur taupe ronronne de quiété, faisant un détour par le pays des rêves en attendant que l'Élémentaliste veuille bien l'amener au prochain point de chute.

Des kilos et des kilos de sable, des litres et des litres d’eau, avec des pierres qui font mal, des coquillages qui coupent et des méduses qui piquent. Des heures et des heures de manque de sommeil, des nuits et des jours de manque. De chagrin. D’anxiété. De nervosité.

Du temps teinté de gris, du temps fade, sans goût.
Les cendres de la vie. D’une vie qui lui échappe et qui le mine. Une salade rance sans huile, un plat sans sel.

ALEJANDRO !

Ce nom, ce n’est plus qu’un cri resté au travers de sa gorge, qui le gratte et le fait tousser ! Un pique entre les omoplates que l’on ne peut dénicher, une écharde dans la main. Un creux sans fin, in vide trop froid. Que douleur, que misère, mais cela suffit à le rendre malheureux. Jamais auparavant Mendeleïev s’est aperçu à quel point il était seul. D’amis il n’en compte que trop peu, et ses proches ne sont pas disponibles. L’une l’évite, l’un est trop loin, l’autre insaisissable. Pour troubler l’ennui qui l’a prit, ce dégoût de la vie, l’elfe s’occupe. Il ne mange plus, ne boit que trop peu. En a les lèvres sèches, les yeux cernés et l’estomac creux. Tout ce qu’il peut faire, c’est s’endormir en espérant qu’à son réveil, il sera là. Quitter un mauvais rêve, lâcher la réalité. Mourir. Mais il vient un moment ou même la mort est insupportable, ou la vie s’acharne sur vous, ne laisse pas de place à l’espoir. Alors, il faut lutter. Ou se cacher. Se cacher dans son passé, dans son présent, dans son futur. Repenser au futur, vivre au présent sans avant ni devant, penser au futur et jamais au passé.

Comme avant.
Les cheveux attachés en couettes basses, sans empêcher aux mèches rebelles de tomber dans ses yeux bleus, relevés par deux traits rouges de terre, et quelques ornements à même la peau. Legelia les reconnaîtrait. Cet anneau porté sur la lèvre inférieure, c’est celui que portait parfois le mexicain. Celui-là, en haut du nez, il l’aime beaucoup Peyotl. Quand à cette boucle d’oreille… C’est aussi la sienne. Mais s’il n’y avait que ça ! Ce vieux t-shirt noir à rayures blanches… Ce n’est assurément pas le sien. Même s’il est à sa taille. Un peu trop grand, peut être. C’est sûr qu’à force de tirer sur les manches, Alejandro a détendu au maximum le tissu déjà trop usé de ce t-shirt. Seul le pantalon noir lui appartient. Et encore, Luis Miguel lui a déjà bien souvent piqué.
Mendeleïev n’a pas choisi de vivre au jour le jour, ni de voir par-delà l’aujourd’hui pour apercevoir le lendemain. Il s’est réfugié dans le passé, ce passé ou ses affaires n’étaient plus vraiment les siennes, ce passé ou ils partageaient tout. Le matelas, les vêtements, les bijoux, la tasse de café, la casserole, les jours et nuits. Tout ce qu’il portait avait été à lui, mais l’adolescent se les était approprié. Et si Mendel les porte, ce n’est pas pour les reprendre. Mais pour se souvenir.

Ce jour où tous deux jouaient au base-ball… L’elfe s’amusait à envoyer la balle le plus loin possible pour faire courir son fils dans tout les sens. Mais pas de fils aujourd’hui. Juste du sable, de l’eau, des méduses. Un elfe et une vieille batte. Un caillou ramassé, un bout de bois déposé sur la rive par la mer, un coquillage, une mouette morte ou un poisson échoué, tout est bon pour servir de balle. D’un geste ample l’objet est envoyé en l’air, la batte siffle dans l’air, et c’est le choc. Ca vole, vole haut et loin, contre le souffle du vent. Puis il recommence ce geste, comme s’il était automatique. Pour oublier. Pour s’occuper.

Mais le sort ne veut pas qu’il oublie ! Alors il sort sa dernière carte. Une carte représentant une rousse aux grands yeux bleus. Mendeleïev aurait pu se sentir trahi, plein de colère, plein de larmes ! Mais non. Il est juste las. Il s’arrête, l’observe. Elle tourne, danse. La souris n’a donc pas remarqué le gros chat qui guette ? Non, il ne s’en ira pas comme ça. Parce que finalement, il n’est pas si las que ça. Pourquoi n’est-elle pas venue le voir, le réconforter ? Lui voulait la voir, même s’il l’évitait. Une coquille saisie, lancée en l’air, et envoyée vers l’intendante.

Et si elle remplaçait son fils ? Et si elle jouait avec lui ? Et si elle l’aidait à tromper l’ennui, à fuir le doute et les fardeaux ? Mendeleïev ne pense à rien. Il veut tout oublier. Mais pas elle, pourtant. Même si ça fait mal.

Mais pas lui. Même si ça l’agace.

Sur le côté on arrive. La souris rousse n'aime pas avoir des spectateurs. Surtout quand ils mesurent plus de deux mètres de haut et ont des oreilles pointues. La silhouette en approche, elle la reconnaîtrait entre toutes malgré les ornements hétéroclites qui la parent ; ces cheveux noirs comme la nuit, cette manière animale de se mouvoir, ces pupilles claires qui lui font si mal, ils sont uniques.
Tant qu'il ne lui adresse pas la parole, ça devrait aller, faisons comme si cela n'avait aucune importance. Ç'aurait été si simple s'il n'avait pas cherché le contact... Les yeux las, Rin ne fera pas même un mouvement de la tête pour viser au mieux le projectile à la trajectoire hyperbolique, fixant simplement le géant droit devant ; le ruban aqueux se chargera de dégager la coquille calcaire, à distance, vers l'arrière, en une accélération fugace. La distance. La distance. Toujours la distance. Alors s'interrompt la danse et se tait l'onde sifflante, retourne à sa source sans élégance. La souplesse de la posture disparaît avec la boucle d'argent, ne reste que la rigueur protocolaire. Comme elle aurait voulu tourner les talons, mais non ! Elle ne peut pas s'enfuir comme une voleuse, pas seule hélas. Et son passager, il est dans la direction opposée.

L'Élémentaliste à la lance ne croisera pas vraiment son vis-à-vis, par contre, elle en approchera quand même... Pas le choix cependant. Regagnant le sable sec rapidement, Rin se dirige en ligne droite oblique vers le petit être somnolant tendrement, faisant fi du vent qui agite les pans de son bandana. Agenouillée au-dessus de la couverture lilas, le manche de son arme sur l'épaule, sa main libre soulève le tout pour un carapatage en catimini même si elle n'y croit pas vraiment. Le désespoir vous fait faire des choses bizarres décidément...

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Lun 22 Sep 2008 - 19:45

Elle s'en va. Elle le laisse seul, se fiche de sa misère et de sa profonde tristesse. La coquille est déviée d'une simple vague, Mendeleïev se prend une grosse claque. Le regard de l'intendante n'est que froid polaire. Ce froid qu'il avait réussi à écarter d'eux. Et qui est revenu, sans que l'elfe puisse l'en empêcher. Ne pouvant supporter ce regard, il détourne les yeux, se cachant derrière ses cheveux. Posture que la demoiselle rousse a pu si souvent voir. Les épaules tombantes, le visage baissé, les yeux cachés. Il semble abattu, mais cela n'a pas l'air de la toucher. ou plutôt, si. Elle se meut, se dirige vers la plage, mais pas dans le but de rejoindre son collègue qui enfin se rend compte à quel point sa solitude lui pèse. Si son regard avait été plus doux... Rien que ça... Mais il n'y a que la cruelle indifférence qui pousse Mendeleïev à bout. Il se sent tiraillé, vaciller, tomber dans un puits sans fond où l'air est trop rare, où tous les maux possibles s'acharnent sur lui.

Rin elle se contente de ramasser une petite boule de poil sur le bord de la plage. Il l'a déjà vu, Mendel. Et n'y avait pas fait grand cas. Certes, c'est plus petit, plus doux et mignon que lui. Lui et ses grandes mains, ses centimètres en trop, ses défauts et ses déboires... Ses actes stupides et irréfléchis. Non, pas tous. Il y en a qui sont réfléchis. mais qui restent stupides. Et il y a des actes irréfléchis et complètement stupides qui lui ont offerts les plus beaux cadeaux de sa vie.

Un fils.
Des amis.
Un amour.

Un amour qui semble totalement impossible, contre nature, et qui semble ne toucher que lui. Hier, il y est peut-être allé un peu trop fort. mais il n'en pouvait plus de cette situation, de ces non-dits et problèmes. Rien toutefois n'avait changé. Elle semblait continuer de se foutre de lui, de rabaisser ses sentiments, de le mener par le bout du nez et ne semblait pas se rendre compte du mal qu'elle lui faisait. C'est vrai, l'elfe semble si solide... Et quel passé il avait eu ! Comment un être comme lui pourrait être ébranlé par une simple jeune femme ? C'est très simple pourtant. Il y a l'amour, qui mange, dévore l'homme et son âme en prenant son temps, pour qu'il souffre et se consume tout seul, s'embrase et se meurt.
L'amour est sadique.

Mendeleïev ne supporte pas chaque pas qu'elle fait dans le seul but de le fuir. Il n'a pourtant pas de crocs, de yeux effrayants et de griffes acérées... Il n'est pas un monstre il est... Un homme. Un tout petit bout d'homme qui n'en est même pas un. Un ridicule morceau d'elfe mélangé à une trop grande dose de mélancolie. Et chez lui, la tristesse est le combustible de la colère. Une colère qui ne cesse de grandir tant sa frustration est grande. Un cri nait dans sa gorge et c'est un rugissement qui sort de sa gueule.

"Rin !"

C'est fou comment le son cristallin de ce prénom peut devenir rapidement dissonant une fois crié avec trop d'énergie. Ce n'est plus une délicate syllabe, c'est un cri de guerre plein de haine et de fureur. Il se tait, la regarde, de nouveau droit mais le visage tordu par les sentiments qui l'habitent. Haine. Froid. Pleurs. Terreur. Il reste toutefois planté là à aboyer sur Rin à distance, n'osant franchir l'espace qui les sépare, de peur que de créer un nouveau problème.

"Pourquoi tu fuis ? J'vais pas te bouffer, je suis un elfe, pas un ogre !"

Et il a un sacré cœur, l'elfe. un cœur qui bat et s'affole rien qu'à voir Rin, rien qu'à l'imaginer... Sa main se pose sur sa poitrine, ses doigts se crispent sur le tissu, mais rien n'y fait, il perd son sang froid, son sang froid qui toujours l'a aidé à vaincre. A cause d'elle.

"Rin !"

Une dernière exclamation, plus douce que la première, mais toujours pleine de sentiments qui se mélangent et ne font qu'un : la passion. Qu'elle ne se retourne pas : il continuera de crier son prénom comme un loup hurle à la lune. Qu'elle se retourne et qu'elle l'achève : c'est la seule façon d'en finir. D'un battement de cils, d'un pique lancé droit dans son cœur. Qu'importe, mais qu'elle fasse quelque chose.

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Sam 17 Jan 2009 - 22:58

[ Remerciez Mendel' d'avoir oublié de me rendre mon texte papier plusieurs mois à la suite.... ]

Oui, les grognements de l’elfe atteindront ses tympans, mais non, son cœur y restera hermétique. Elle a déjà été blessée une fois, puis deux, cela suffisait bien. Cette voix, ce n’est pas celle qu’elle veut entendre, cette chaleur, ce n’est pas celle qu’elle désire, ce regard clair, ce n’est pas celui qu’elle attend. La demoiselle rousse file droit, tout droit. Puis s’arrête. Net. Ha. Elle va devoir grimper. Seulement, elles sont dans son dos. Par instinct, elle lance un regard en arrière et reprend son cap initial aussitôt : elle a frôlé le géant aux cheveux d’ébène. Ses bottines. Encore oubliées… Que faire maintenant qu’elle est aux pieds des rochers ? Rin a déjà rebroussé chemin une fois pour le chaton, plus difficile de recommencer pour ses chaussures, elle se ferait intercepter à coup sur. Et cela est parfaitement exclu. Bon, la remontée se fera les pieds nus. Frottant ses plantes à ses mollets, l’ex-chasseuse de minéraux escalade à grandes enjambées les blocs de calcaire en vrac. Chaque pas est posé avec prudence, à la manière des insectes au fil de l’eau, dénotant sa peur de la blessure. Le premier obstacle est franchi. Ha. Deuxième obstacle en vue. Et tous les suivants. Au-delà du rebord de béton, se dessine une étendue dure, irrégulière, recouverte d’une fine couche de silice, avec parsemés çà et là des graviers que la mer, hors d’atteinte, n’a jamais polis. Pas d’herbe ou trop peu ou trop abimée pour avancer confortablement. De toute façon, arrivera rapidement après le bitume du quai de la navette. A nouveau un coup d’œil furtif vers le sable en contrebas. Comme si cela suffisait à téléporter ses chaussures. Le blanc, droit devant. Que faire ?

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Lun 19 Jan 2009 - 23:37

[Remerciez-moi de répondre aussi vite, j’aurais pu encore vous faire attendre trois semaines, rien que ça. Ou ne jamais répondre.]

Ah, mais qu’espérait-il ? Un miracle ? Elle est froide, froide, et le restera ! Rien ne sert de hurler, le glacier ne reviendra pas. S’il était enfin, il se roulerait par terre en pleurant. S’il était adolescent, il s’égosillerait et déclamerai de sombres idioties. Mais il est adulte, mendeleïev. A vécu plus qu’en enfant, plus qu’un adolescent. Le regard de l’intendante l’évite, alors qu’il se voit gros comme une maison sur cette plage de sable fin. C’est voulu. Il le sait. Et ça fait mal, là, entre ses poumons. Cette petite chose qui bat, elle étouffe. Elle crache son sang empoisonné aux quatre coins de son corps. A quoi s’attendait-il, le géant ? Un flocon restera toujours libre. Peut-être n’a-t-il pas envie de fondre en se posant sur le volcan qu’il est ? Pourtant, elle devra bien un jour se poser quelque part, cette froide demoiselle ! Avec ou sans chaussures.

L’elfe se saisira des précieuses bottines, sentant comme elle, comme ses cheveux roux, ses vêtements, ses lèvres. Il les soulèvera bien haut, les regarda bien. Ce sont les siennes, ce seront les siennes. Pourquoi devrait-il être gentil avec cette frêle demoiselle qui n’en a que faire de lui ? C’est lui qui lui arracher un baiser. Lui qui toujours fais le premier pas. Peut-être que la souris rousse n’a jamais voulu tout ça. Mais lui le veut toujours. Tout. Les disputes, les regards gênés. Les rares sourires, les couronnes de fleurs qui se fanent, les reproches muettes, tout. Abattre sa haine, mettre à genoux son amour, crever à ses pieds s’il le faut.

Mais pas aujourd’hui, capricieuse !

Ses chaussures, il ne les lui rendra pas. Il faudra que Rin vienne vers lui, rebrousse chemin. Les reprenne d’entre ses grandes mains. S’il le veut bien. Doucement, Mendeleïev enlève le sable qui colle à leurs semelles, noue leurs lacets et les fait pendre autour de son cou. Elles tachent son haut, frottent contre son torse. Grimpe, grimpe, sans tes bottines, souffre, rien qu’un peu. De rares coups d’oeils de sa part. Toujours en l’évitant, cherchant ses chaussures. Ses chaussures sont à lui à présent. Si elle veut les voir, qu’elle regarde son visage, ses yeux brillants, qui toujours espèrent. Un peu, beaucoup, sans cesse, même quand on lui crie qu’il n’y a plus d’espoir. Il s’acharne sur cet amour comateux, refuse de débrancher la machine, de le tuer pour de bon. Il y a toujours de l’espoir, même quand il fait noir. Sa bouche entrouverte ne prononce pas un mot, et se contente de laisser filer sa respiration saccadée. Et si elle tombait ? Et s’il l’aidait ? Juste un peu. Et si elle chutait ? Si elle se faisait mal ? Ses pieds vont s’érafler sur tous ses rochers ! Mendeleïev ne sait plus ni reculer ni avancer, bloqué, là. Même le vent ne peut le bouger. Une méduse n’aurait pas plus d’effet.

C’est comme s’il rêvait.

Un rêve, oui. Que de la voir se hisser ainsi. Peut-être qu’il est un ogre, finalement, pour que la demoiselle s’éloigne tant de lui. Son pied recule, puis l’autre. Marche arrière, lente. Comme s’il pouvait remonter le temps ainsi. Qu’elle retourne sur le sable, aille chercher le chaton. Cette fois, il l’arrêtera. Ou peut-être pas. Il la nargue, tapotant sur ses trophées. En être venu à la voler pour qu’elle vienne lui réclamer quelque chose. Ce ne sera pas de l’amour, certes. Mais elle sera au moins venue vers lui. Ou peut-être pas.

Viens, viens pas ? Le jeu inconstant des flocons qui ne savent pas où aller, tourmentés par le vent, craignant les flancs chauds d’un énorme volcan.

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Mar 20 Jan 2009 - 0:42

Et voilà que le grand méchant loup s'en est emparé, que faire ?

Un dernier coup d'oeil, une certitude : il ne les rendra pas au petit chaperon vert, lui qui les arbore fièrement comme des trophées. L'enfant est en haut des marches, impossible de reculer. Il y a déjà eu un second essai lorsqu'elle a récupéré le chaton, impossible de rendre encore plus brouillon sa retraite, il faut aller de l'avant. Un pied nu s'avance alors avec prudence, mesurant la douleur provoquée par les graviers piquants. Lorsqu'on y va doucement, cela reste supportable. Mais sur plusieurs mètres, le mouvement répété encore et encore l'handicapera. Et Rin ne peut pas se permettre de marcher à une allure si modérée jusqu'au port... Un long moment rien ne se passe, le vent a comme retenu son souffle. La mer est proche et même si elle est salée, elle gèle. La jeune fille au bandana ne bouge plus tandis que le tissu vole, rejoint par un ruban liquide que Mendeleîev connaît bien. Cette fois, il ne se fera pas cerceau protecteur et dansera une variante des taquets de glace : un mince chemin de givre s'ouvre devant. S'il était plat, marcher dessus serait inenvisageable, c'est pourquoi il est ponctué d'irrégularités où ses orteils diaphanes viennent se nicher. La lancière fera fondre le sentier éphémère et le regèlera au fur et à mesure de son avancée ; cela constituera une fatigue considérable. Mais ce sera toujours mieux que de se retrouver près du professeur de stratégie. Toujours mieux que de croire un serment qui se révèlera plus tard belle parole jetée au vent. Toujours mieux que de verser des larmes pour qui les piétine. Toujours mieux que de revivre la douleur de voir crépiter dans les braises une couronne de fleurs séchées. Elle a renoncé, pourquoi lui s'acharne-t-il ? Tout éteindre : le tourbillon de questions se tait, son coeur cesse à son tour de se débattre. Désormais, elle se contente de se concentrer sur son souffle. Régulièrement. Doucement. Lentement. Elle avance. Petit à petit. Sans hésitation, un flocon, deux flocons, un autre et puis encore un tandis que sa respiration se fait fumerolle blanche entre ses lèvres capucine et que ses yeux turquoises fixent attentivement le sol froid.

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Mer 28 Jan 2009 - 0:54

A quoi sert donc tout cela ? Immense mascarade, à quoi sert donc tout cela. Elle ne tient pas plus à ses chaussures qu’à lui, c’est définitif. Elle ne tient à rien à part ce fichu anneau d’argent qu’il n’a pas oublié… Là, à ce doigt si fin et si blanc. Le doigt d’une fiancée, d’une promise. Elle poursuit sa route, sur sa voie glacée su fichant bien de lui qui pourtant fait tout pour la faire revenir. Que faire contre elle ? Rin aura toujours raison, lui toujours tort. Et pourquoi donc, tiens ? Et si c’était lui qui avait raison, n’avançant ni ne reculant, stoïque, droit ? Pourquoi bouge t-elle tant ? Pourquoi tant d’inconstance ? Le méchant loup se renfrogne et la regarde, d’en bas, s’éloigner à petit pas. Comme si cela pouvait lui faire mal, il serre les bottines dans ses grandes pattes velues. Petite brebis qui, après avoir bue au ruisseau où se désaltérait déjà le loup ne s’excuse pas.

Et le vieux loup tout gris, il est trop vieux pour s’énerver. Il n’est plus aussi reluisant qu’avant, courir après l’amour n’est plus de s’en âge. Pourtant, il y croit, en l’amour. Il y croit furieusement, il est aveugle. Alors il pardonne tout. Pas grave qu’elle parte ! Elle reviendra. Si elle l’aime.

Et si elle ne l’aimait pas ? Non, ce n’était pas possible. Lui, il l’aimait. Penaud, Mendeleïev resta planté là, sans savoir quoi faire. Son air renfrogné cachait mal sa déception et sa surprise. Ne cachait rien du tout, d’ailleurs. Ah, son visage… Dessus passait tout ce que son cœur ressentait. Il baissa la tête, comme toujours, regardant ses propres pieds. Mais que faisait-il ? Pourquoi lui courir après ? Pourquoi donc ? Cela ne servirait à rien. Tout ne servait à rien. Défaitiste ! Et toujours victime. Et si c’était l’inverse ? Si, en fait, c’était la demoiselle qui subissait tout ? Et lui qui toujours était mauvais ? Manichéen ? Oui, mais n’en demandez pas trop à Mendeleïev. Il est assez torturé comme ça. Il ne comprends pas, ne comprends rien, ne sait rien. Il ne sait jamais quoi faire, quoi dire, oublie que les mots ne peuvent pas tout, que les gestes sont parfois inutiles, que seul un regard suffit. Avec lui, c’est tout ou rien. Noir ou blanc. Mais jamais gris.

« C’est ma faute ? »

Sa voix s’élève, pour la lointaine demoiselle. Il fait trois pas en avant, puis se répète.

« C’est ma faute ? »

Une voix de petit enfant qui ne sait pas quoi faire. Comme d’habitude.

« C’est ma faute ? »

L’ultime question qu’il se pose toujours. Et qui, toujours, reste sans réponse. C’est ma faute ?

Pourquoi faudrait-il forcément un coupable ? Les choses sont comme elles sont, sans que personne ne soit à blâmer. Que cherche-t-il ? Comment peut-il encore vouloir le contact alors qu'il a dit devant une salle comble souffrir auprès d'elle la veille ? Pourquoi est-il toujours là après avoir rompu sa promesse une fois et rejeté son inquiétude ?
Alors que les pas se succèdent, la chaleur toute relative du frottement humidifie la plante abîmée de ses pieds et arrive ce qui doit arriver : zwit zwit, dérapage contrôlé, une fois, zwit zwit, équilibre récupéré. Zwit zwit, zwiiiit ! Manque de chance ou de concentration, quelques mètres plus tard les talons décollent, la lance aussi, projetée sciemment d'une petite impulsion réflexe pour éviter les blessures. Ne reste que le petit animal dans le creux de son bras gauche. Se laissant aller à la chute, Rin a présenté son flanc côté coeur au sol verglassé derechef, emprisonnant les graviers picotants urticants dans un sceau de glace à -2°C. Pas un bruit : l'élément, dense, a tout absorbé ; l'arlequin n'a pas pas bronché, la demoiselle pas un mot n'a pipé.
Se redressant, le souffle lent de l'Élémentaliste se condense en de gracieuses volutes claires devant son visage rougi par l'effort. Ses yeux las fixent le chaton contre son ventre sans vraiment l'atteindre. Fatiguée. Mais pas physiquement. Émotionnellement, ce n'est pas la même histoire. Tout s'écoule, s'embrouille. Elle a renoncé, n'est-ce pas ? Il n'y a rien à espérer, hein ? Tout ce qu'il dit n'est que gentillesse apparente, de la politesse à l'état pur ? Il n'y a pas de doute à avoir, non ? Non ?

Elle n’entend pas… Elle n’entend ni ses cris ni son cœur. Et son cœur à elle, il lui dit quoi ? Est-il vraiment de glace ? Peut-être, mais la glace fond… Il la voit, de loin, déraper une fois. Puis une deuxième fois. Et silencieusement, il prie pour qu’elle tienne debout, ne se fasse pas mal. Mais les prières ne servent à rien. Le ciel est sourd, il a des nuages dans les oreilles. La voilà qui vacille une troisième fois… Cette fois, elle ne pourra se rattraper. Pas le temps de penser, juste d’agir. Il court, s’élance, devient brume, cerf, dragon, tout à la fois dans la panique, s’embrume et il réapparaît, perdu, auprès de l’intendante. L’hideux monstre reprend forme humaine, ou du moins tente. Il lui reste quelques écailles sur le visage, ses yeux sont encore tout noirs. Il n’arrive pas à se maîtriser tant il a eu peur. Alors il pose les bottines devant la demoiselle, le visage attristé. C’est de sa faute ! S’il ne s’était pas entêté… S’il les lui avait apportées ! Et le chaton qui ronronne au creux de ses bras, bienheureux contre elle. Il se fiche bien de ce qui peut lui arriver, lui. Mais pourtant elle fait si attention à lui, l’intendante. Une simple attention et lui aussi serait heureux.

Serait-il aussi heureux tout contre elle ? Il est si près d’elle. Mendeleïev tend ses deux bras et l’entoure alors, doucement, posant sa tête sur les frêles épaules de la demoiselle. Il a cru, in instant, qu’il allait la perdre définitivement. Qu’elle allait s’en aller, et lui n’avait pas bougé ! Il a fallu qu’elle tombe pour qu’il s’en rende compte. Qu’elle tombe pour qu’enfin, il sache à quel point il avait peur pour elle. L’étreinte fut brève, et voilà Mendeleïev qui la saisit par les épaules, la fixant directement. De si beaux yeux bleus ! Il en devient muet. Il voulut dire quelque chose, mais n’y arriva pas. Pas le temps de réfléchir, juste d’agir. Brusquement il l’embrassa, aussi maladroit que d’habitude, avant de se retirer, comme s’il craignait qu’elle ne le gifle.

« C’est ma faute ? »

Une phrase qui revient, parce qu’il ne sait pas quoi dire d’autre. Mendeleïev resta là, face à elle, soufflant comme un bœuf et ahuri comme un poisson hors de l’eau. Comme à son habitude, il baissa la tête, et ses fins cheveux voilèrent son visage. Il avait l’impression d’avoir fait une bêtise, mais une bêtise si bonne… Comme vider le placard à bonbons sans l’autorisation de ses parents. Comme voler une pomme sur l’arbre du voisin. Mais cette pomme, elle le narguait.

Sujet: Re: [ Semaine 17 ] À flots (Fini) Lun 2 Mar 2009 - 20:36

[Je post suite à votre invitation. J'espère que ça vous va! u.u"]

Elle aurait voulu mourir sur place, disparaître six pieds sous terre, devenir invisible, mais tout cela n'était pas possible. La demoiselle ne pouvait que rester devant cet homme et cacher tant bien que mal son malaise. Pourquoi avait elle ouvert la bouche? Pourquoi avait elle laissé s'échapper ces paroles blessantes et honteuses? Comment avait-elle pu prétendre que son frère et le jeune surveillant pouvait avoir une relation? Son cœur se serra. Voilà ce qui arrivait à se montrer trop lacace.
Les rencontres avaient toujours fait peur à la jeune élémentaliste de feu. Les relations humaines et elle n'avaient jamais été copines et ça se confirmait. Kaefer Taki devait la trouver bête et insupportable depuis qu'elle lui avait dit « cette chose méchante ». Mais ce qui est dit, est dit, Sunny ne pouvait plus rattraper ses paroles, elle ne pouvait pas non plus rembobiner le temps pour tout recommencer. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était de rougir de plus belle et...

-Je suis désolée!

Kaefer paru ne pas l'entendre. Il faut dire que la jeune femme n'avait pas parlé très fort, la gorge trop noué.
Étrange, tout de même, cette façon de ce mettre dans un tel état juste pour une méprise. Ce n'était pas si important, pas si grave, mais Sunny venait de se révéler à lui. Elle avait parlé de sa malédiction... Et s'il décidait de retourner ça contre elle sous le coup de la colère?
Une main légère se referma sur son bras, tandis que le surveillant l'entrainait à sa suite tout en criant un prénom. Il prenait la direction du quai. Voulait-il qu'elle s'en aille? Dommage pour lui, il allait devoir supporter la jeune fille un bout de chemin, puisque le port étaient encore assez loin. Sunny se laissa faire, après tout, elle n'avait rien à faire ici. Nouvelle et inexpérimentée, sa place devait être à l'E3 dans le bureau d'un responsable.

« C'est ma faute? .... Faute ... Faute... »

Une plainte déchirante, un cri plein d'une étrange tristesse vint, porté par le vent, jusqu'aux oreilles de la demoiselle. Dans cette interrogation, la douleur était palpable. C'était étrange. Sunny avait l'impression que face à ce cri, son sentiment de solitude n'était rien, qu'il était tout simplement insignifiant...
Kaefer et elle étaient arrivés devant des blocs de calcaire qui séparaient la plage d'un chemin de graviers. Quelques mètres plus loin se tenait un couple: une jeune femme aux allures adolescentes, belle, à le chevelure flamboyante et un homme, un géant, sauvage, presque effrayant. Tous les deux avaient quelque chose qui imposait le respect. A coté d'eux, Sunny se sentait si terne. Elle s'arrêta, ne voulant pas les rejoindre, d'autant plus que la femme venait d'éviter le baiser du géant. C'était un moment intime, la jeune surveillante n'avait aucun droit d'être là et d'assister à ce spectacle.
Silencieuse, les yeux baissés, serrant son sac contre elle, la demoiselle attendait qu'ils s'en aillent sans les remarquer, mais Kaefer semblait connaître ces personnes...

[ C'est ce que j'appelle se faire ignorer en beauté... Dire des âneries dans le Hors-jeu et rejoindre d'autres topics de recherche, y'a le temps, pas pour dire "Non merci sans moi" visiblement. Je retiens. ]

Un genou aurait dû partir dans les airs, mais tous les muscles de l'élémentaliste se sont raidis sous le choc. Seul le cou a eu le réflexe de pivoter légèrement. Il est là, il la regarde, ahuri. Rin ne sait si elle est vexée ou blessée, peut-être un peu des deux. Mais une main se dégage et claque du dos et de la paume les bras qui la retiennent. Elle s'époussette brièvement, attrape les lacets noués des bottines revenues et se redresse. Les spectateurs dans son dos ont grimpé les rochers calcaires, ils n'ont pas échappé au regard turquoise aiguisé. Ça n'a plus aucune importance. Qu'ils entendent s'ils sont à portée, vraiment, elle a atteint le point de non-retour.

"Vous êtes pire qu'une girouette et c'est moi qui me moque de vous ? Que vous vous décidiez ou pas, pour ma part, le choix est fait. Ne soyez pas en retard pour votre cours, Monsieur."

Une chaussure part dans son dos, les voilà qui pendent à son épaule tandis que la lance est récupérée. Le sentier de glace se rouvre, l'intendante prend congé.

Pas de chance, pas de bol, pas de quoi, pas merci. Rien. Elle se dérobe, et il ne peut rien y faire alors qu’elle s’enfuit de son étreinte, comme s’il était trop près. Parce qu’il était trop près. L’elfe la regarde, sans vraiment trop comprendre. Quelle bêtise a-t-il encore fait ? Pourquoi n’arrive t-il à rien, est-il si maladroit, si idiot ? Ou est-elle impossible à saisir, petit flocon, reine des glaces. Il gémit alors qu’elle se releva, fit son regard de chien battu, mais rien n’y fit. Quelques paroles bien senties, qui l’atteignirent comme toujours, droit au cœur. Girouette, lui ? Et l’intendante, ne l’était-elle pas ? A le mener en bourrique. C’est de sa faute si il allait dans un sens puis dans un autre ! Mendeleïev ne savait pas trop quoi faire. Il voulut répondre, mais les mots restèrent coincés au travers de sa gorge et seul un toussotement put lui échapper, faisant bouger ses larges épaules. Tout à coup, il parut bien frêle, l’elfe. La statue d’ébène se redressa, mais déjà elle s’en allait sur sa route glissante, chaussures sur l’épaule.

« Mais faut que j’aille dans quel sens pour te…. vous plaire ? Ouest, sud ? »

Elle était trop loin et il ne criait pas assez fort. Pas l’envie, pas la force, el voilà transformé en gamin rachitique, vidé de toute son énergie. Deux silhouettes au loin attirèrent son regard, alors qu’elles avançaient vers lui. Mendeleïev, redoutant une quelconque confrontation au cas où on els aurait entendu, fuit, dans le sens premier du terme. Après un bref salut, il s’éloigna dans une direction autre que celle de Rin, après avoir reconnu des gens de l’école, comme il le craignait. Non, la force à rien. Les deux surveillants passèrent leur chemin, s’en retournant à leur ballade, alors qu’une fois de plus, les deux individus se séparaient en mauvais termes. Tant pis. Il recommencera. L’elfe n’allait pas laisser tomber ainsi. Si Rin avait ouvert un trou en son cœur, elle le rebouchera. Parce que c’est sa faute. Ou, si elle aime le travail bien fait, elle détruira ce qu’il lui reste dans la poitrine. C’est que c’était dur à dire, mais il l’aimait. Et ça, sombre idiot, il ne lui avait pas crié. Mendeleïev s’en alla donc, se perdit, retrouva son chemin, en rentra pas tout de suite, ayant cru voir une méduse géante au large.

Mais quand il rentra, ce fut avec une amère déception avec un goût prononcé de déjà vu. Était-il si détestable que cela ?

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