Un, deux, trois, quatre, cinq, six,.... Toki comptaient ainsi ses pas dans la neige depuis que les premières lueurs de l'aube avaient éclairé l'horizon. Le jeune homme s'amusait à tourner en rond, les pieds enfonçaient jusqu'au cheville dans le doux manteau blanc qui recouvraient une prairie du parc. Cette prairie était l'une des cachettes de Toki. Il l'avait découverte une semaine plus tôt et ne cessait de s'émerveiller, en silence, face à la beauté de ce paysage mouvant sous les dunes de neiges et les rideaux de glaces portaient par les arbres. La nature chantait, Toki écoutait. Il se sentait paisible, serein et en sécurité au milieu de ce paysage désert de tout être vivants. Il n'était couvert que par son manteau fin et blanc et sa tresse, ornée d'une perle dorée, brillait sous les rayons du soleil et animait son visage placide et amère de doux rayons volatiles, vague reflets de l'astre jaune rayonnant. Ses yeux seuls semblaient exprimé une quelconque idée de vie et de mouvement sur son visage. Ils étaient en effet d'un rouge profond et aussi paisible que sa pensée. Pour une fois, Toki n'était pas sur ses gardes et laissait ses pensées voguer sur la mer calme et douce , bercé par le roulis du vent dans les branches couvertes d'écume et scintillantes de mille étoiles glacées.
Malgré le fait que Toki marchait, seuls le bruit de la neige qui craque et le mouvement de la tresse qui se balance montrent la présence d'un certain mouvement: de loin on pourrait facilement le prendre pour un robot, avec sa démarche quasi silencieuse, ses mouvement coulants mais saccadés, trop précis pour paraître naturels, et son visage impeccablement tiré, aucun trait ne laissant entrapercevoir une quelconque pensée.
Dix, onze, douze... Il comptait toujours, repassant son pied fin dans les traces qu'il avait faite il y a plusieurs minutes déjà. Il ne s'en lassait pas, cela lui faisait du bien, un peu d'ordre. Il savait ce qu'il devait faire, où il allait, ce qu'il allait se passer s'il posait le pied exactement dans la même empreinte que la précédente, le crissement de la neige quand il laisserait son poids basculer dans sa jambe, le mouvement du rayon du soleil qui rencontrerait la perle de sa tresse, la douceur de celui ci lorsque, renvoyé par le bijoux doré, il rencontrerait sa joue. Le gazouillis d'un merle cassa pourtant la petite musique et le pas de danse que répétait le jeune elfe. Il leva les yeux pour regarder l'oiseau perturbateur et finit par reprendre sa musique là où il l'avait laissé.
Seul, au milieu de cette nature qui l'englobait, Toki semblait presque tendre et aimable. Mais sa sociabilité se limitant aux arbres de la forêt... Il n'avait encore jamais pu connaître un tel sentiment de plénitude en présence d'elfe, et encore moins d'humain... Cette pensée assombrit son esprit et ça marche se fit plus lourde. Depuis son arrivée il n'avait pas encore noué le moindre lien social, en même temps, il ne le cherchait absolument pas: au contraire, depuis plusieurs semaines il fuyait les étudiants et les couloirs de l'école pour venir se réfugier ici, en pleine forêt, perdu au milieu de nulle part. A vrai dire, la rencontre avec d'autres individus le répugnait, il ne voulait plus ressentir le sentiment de compassion qui s'était emparé de lui lors de sa rencontre avec Akira. Il était différent des autres, c'était comme ça et c'est tout. Pourquoi chercher à se faire des amis?
Partir... Loin... L'appel de la vie en solitaire le narguait à travers ses arbres, il le sentait. Cette liberté qui flottait dans le vent et tentait de gonfler les voiles de son bateau... Mais il ne pouvait larguer les amarres dès maintenant, il n'était pas encore prêt, et loin de là! Il fallait qu'il s'entraîne, encore et toujours, pour devenir de plus en plus fort et envahir de par sa puissance son ancien village, renversé les anciens et faire cracher le volcan de son enfance, pour que tous ces mauvais souvenirs ne soient plus que pierres volcaniques...
La neige s'était mise à retomber et les traces de pas se recouvraient au fur et à mesure que les doux flocons s'amassaient les uns sur les autres, formant un nouveau rempart naturel aux pieds de Toki. Celui-ci les regarda virevolter avec envie, et laissa errer son regard vers les nuages gris blancs, champs de coton et de pelotes de laines aux fils disséminés à travers le ciel blanc-bleu hivernal.
Il reprit sa marche en silence, retraça ses pas et...
Un bruit...? Ce n'était pas un oiseau cette fois-ci... Ca sentait... Ca sentait l'humain....
Les pupilles de Toki se vrillèrent, il se stoppa net dans son mouvement et se remit bien droit, les muscles tendus, le visage de marbre. Il ne se retourna pas et fit mine de regarder un arbre dont la stalactite pendait presque jusqu'au sol et suintait de flocons fondus. Tous ses sens étaient en alerte, au moindre geste de l'individu, Toki était prêt à réagir, vite fait bien fait...