[S18]Entretien d'embauche de Richard Daimant. [Fini]

Jeudi 16h00

Richard Daimant s'approcha de la porte du Directeur adjoint et s'arrêta un instant. Il sentait une vague de stress l'envahir. Aujourd'hui, c'était sa chance de passer professeur, il ne devait pas la rater !
Le postulant inspira profondément en se remémorant mentalement son programme de cours. On allait sans aucun doute lui poser des questions dessus alors il avait intérêt à le connaître sur le bout des doigts.
Prenant finalement son courage à deux mains, Richard approcha le poing de la porte et donna quelques coups. Une fois fait, il attendit, guettant une réponse.
A mesure que les secondes s'écoulaient, la température semblait augmenter. Le postulant se passe la paume sur le fronc de manière à essuyer la sueur.

*Allez Richard ! Tu me fais quoi là ? C'est pas comme si tu allais rencontrer un démon ! Reprends tes esprits, reste cool, et frappe une nouvelle fois. Un peu plus fort, histoire qu'il entende cette fois...*

Après s'être giflé mentalement, il secoua la tête pour reprendre ses esprits. Il bomba le torse et frappa à la porte, plus énergiquement.Ensuite, il attendit.

Ouais, c'est bon entrez !

La voix tonitruante de l'ancien capitaine résonna dans tout le couloir et c'est dans ses petits souliers que le postulant poussa la porte du bureau. Tito ne le vit pas pénétrer dans la pièce. Il entendait les encouragements qu'il se prodiguait à lui-même, les gifles mentales qu'il s'assénait. Quel stressé ! Devant son indifférence feinte, le nouveau directeur adjoint procédait à une analyse du postulant. Sonder les esprits. C'est ainsi qu'on lui avait dit de faire. Sans préambule ni présentation, l'entretien venait de commencer. Et il commençait fort !

Pourtant, Tito lui tournait royalement le dos. Face à la baie vitrée qui donnait sur le parc ensoleillé, il écoutait les pensées du nouvel arrivant, sondant son esprit, relevant quelques informations qui auraient pu l'intéresser. Pour sûr l'autre devait sentir cette intrusion, cette fouille même, de son esprit. Il voyait, comme Tito voyait, ses souvenirs défiler, ses envies, ses peurs, et un trait revenait, encore et toujours, sans qu'il n'ait pu rien faire : la maladresse. C'est d'abord ce que l'ancien marin crut. Mais après avoir vu tous les plâtres possibles défiler sur toutes les parties du corps de ce Monsieur Daimant, il finit par conclure que ce n'était plus que de la maladresse, mais une malchance légendaire. Peut-être le postulant devra-t-il se munir de trèfles, de pattes de lapin ou autres fers à cheval pour avoir une chance de ne pas mettre ses élèves en danger.

Car c'est la première chose qui vint à l'esprit du directeur adjoint. La sécurité des élèves. Non pas qu'il ait de l'affection quelconque pour ces jeunes qu'il avait à peine croisés, mais plutôt que Tito avait toujours fait preuve de professionnalisme. Que ce soit pour une cargaison qui devait arriver intact à bon port ou pour une bande de morveux à qui il devait rester tous les membres jusqu'à la fin de leur scolarité.

Bien. Asseyez vous. J'suis Tito, le nouveau directeur adjoint. C'est moi qu'je vais vous faire passer l'entretien.

Ce n'est pas parce qu'il ne savait pas manier les mots que son ton était hésitant ou manquait d'aplomb. Au contraire, sa voix grave et enrouée où on devinait un accent étranger, imposait un respect tel qu'il semblait dangereux de se moquer de ses fautes de français. Surtout lorsque le vieux capitaine se tourna enfin et fit face au postulant. Ses sourcils noirs, hirsutes et sa peau brune assombrissaient son regard azur et son visage fermé n'invitait pas à la conversation, une moue bougonne en guise de sourire. Ses longs cheveux retenus en une queue de cheval basse étaient tout aussi sombres que sa chemise aux manches courtes et son bermuda. Bien que bedonnant, il gardait les épaules carrées et la carrure de celui qui a travaillé par la force de ses mains, et la sueur de son front.

Découverte hein ? Vous aimez les plantes comme ça ? Vous f'siez quoi avant ?

Son ton las allait de paire avec ce qui semblait être de l'indifférence. Comme si le directeur adjoint s'ennuyait au possible. Et qu'il n'avait aucune envie de faire passer « ce foutu entretien ».

Richard était entré dans le bureau du directeur adjoint en se faisant le plus petit possible. La tonitruante voix qui l'avait invité à entrer avait sapé tout ce qu'il lui restait de courage. Le seul occupant de la pièce lui tournait le dos, regardant le parc à travers la grande baie vitrée. Il était de forte stature et portait une chemise à manches courtes et un bermuda, sombres.

Le postulant sentit soudain qu'il se passait quelque chose dans son esprit. Il voyait défiler ses pensées et ses souvenirs, sans qu'il puisse faire quoi que ce soit pour l'arrêter. Le directeur adjoint était en train de le sonder, il fouillait dans sa mémoire afin de l'analyser.

*J'aurais dû m'en douter...*

Richard fut alors frappé, sans doute au même moment que le directeur adjoint, par l'ampleur de sa malchance. Il était passé par la case hôpital un nombre incalculable de fois et il lui était souvent arrivé de porter préjudice à autrui, bien malgré lui.
Le postulant réalisa que cette malchance pouvait nuire non seulement à ses cours mais à ses élèves et il sentit une boule se former dans sa gorge.

Bien. Asseyez vous. J'suis Tito, le nouveau directeur adjoint. C'est moi qu'je vais vous faire passer l'entretien.

Richard obéit instantanément, soucieux de ne pas commencer à perdre des points auprès de son interlocuteur. Il réalisa d'ailleurs que la fouille de son esprit avait cessée.
Tito se tourna alors vers le postulant qui découvrit enfin son apparence. Une peau brune, un visage fermé et des yeux couleur azur. Tout chez ce personnage, depuis la voix jusqu'aux yeux, imposait le respect. Surtout à quelqu'un comme Richard qui en perdit le fil de ses pensées durant un instant.

Le directeur adjoint le ramena à la réalité en reprenant la parole. Il fit un rappel de la matière que Richard souhaitait enseigner, la Découverte, et lui demanda s'il aimait les plantes ainsi que ce qu'il faisait par le passé, tout cela avec un étrange ton las et une certaine indifférence.

Richard se demanda s'il devait évoquer son passage dans les montagnes de l'île, où il avait passé plusieurs années. Après une courte réflexion, il décida d'en parler plus tard.

"J'ai fait des études de botanique jusqu'à mes 19 ans, commença-t-il, jusqu'à ce que je découvre mes pouvoirs en fait. Donc oui j'aime les plantes et je les connais plutôt bien. On peut aussi dire que j'ai une petite expérience dans les excursions, ironisa-t-il, j'ai passé pas mal de temps en pleine nature avant d'arriver ici.

Pour l'instant, mis à part la fouille de son esprit, tout se passait comme Richard l'avait imaginé. Si ça continuait dans ce sens, il arriverait à s'en sortir convenablement.
Il y avait cependant un moment qu'il redoutait, celui où Tito aborderait le sujet de sa malchance. Il n'avait pas vraiment envisagé cette possibilité, jugeant qu'il ferait tout simplement avec. Avoir vu ses souvenirs défiler dans son esprit avait eu l'effet d'un coup de poing dans le ventre pour le postulant. Il était dangereux.

*Hé ! C'est pas le moment de perdre ma motivation ! Je respire à fond et je me ressaisis. Je ne vais pas laisser ma poisse me pourrir la vie ! Haha !*

Quelque peu rasséréné, le postulant se redressa sur sa chaise et planta son regard dans celui de Tito. Une étincelle nouvelle s'était allumée dans les yeux de Richard, une étincelle qui ne demandait qu'à grandir.

[Excuse moi du retard ! Ces dernières semaines ont été sportives !]

Et cette fameuse étincelle, née soudainement dans le regard du postulant n'échappa pas à Tito. La détermination. Une grande qualité. Ne pas se laisser aller. Toujours avancer. Sauter les obstacles. L'ancien marin en savait quelque chose... Mais pouvait-on éviter la malchance, inattendue et sournoise, aussi aisément qu'un récif de rochers en pleine mer ? Certainement pas, non. Mais ça valait le coup d'essayer. Avec prudence.

Après tout il semblait connaître le sujet. Il avait très justement repris le directeur adjoint, en ajoutant finement qu'il s'y connaissait en excursions. Une manière délicate, peut-être de faire remarquer que la découverte ne se limitait pas aux plantes. C'était aussi une raison pour laquelle la balance basculait doucement en faveur de ce M. Daimant. Il avait à priori les qualités requises pour enseigner cette matière. S'il ne l'avait pas évoqué, Tito avait aperçu le séjour passer dans les montagnes, et son amour pour les plantes. Bizarrement, le marin retrouvait un peu de sa propre passion chez ce jeune garçon. Décidément, à ce rythme, il n'en faudrait pas beaucoup pour convaincre le taciturne directeur adjoint.

Ce dernier suivrait scrupuleusement les règles. D'abord la petite visite mentale, puis vérifier que le postulant n'arrive pas les mains dans les poches. Peut-être qu'en fin de compte il lui demandera une démonstration de sa maîtrise de l'élément, chose rare mais conseillée lors d'un entretien. En attendant, le programme...

Et vous avez préparé que'que chose ? J'veux dire z'avez réfléchi aux cours que vous allez faire aux gamins ? Un programme, truc du genre ?

Tito s'était quasiment décidé à donner le poste à ce gars-là. Alors pourquoi ses yeux azur pesaient-ils si lourdement sur les épaules du pauvre postulant ? Pourquoi ce ton à la fois détaché et inquisiteur ? Déstabiliser auraient répondu les mauvaises langues. Pourtant, sous ses airs rudes, l'ancien capitaine était bien plus complexe que cela. Tout en écrasant de sa prestance le postulant, il influait en lui un petit souffle discret, mais terriblement chaud. Un souffle d'espoir et de confiance.

Alors oui, il était impressionnant le vieux marin. Pourtant il est de ces gros rocs escarpés auquel on veut s'accrocher. Indestructible. Et rassurant. Comment s'y prenait-il ? Naturellement. Un naturel bourru mais attachant...

[J'ai un peu du mal à m'exprimer, si tu ne vois pas très bien où je veux en venir, n'hésite pas à me le dire.]

Un exposé illustré. Court, un peu vague. Mais motivé. Tito n'avait pu s'empêcher de s'introduire dans les pensées du postulant lorsqu'il présentait son projet. Il découvrit alors à quel point ce Richard avait pensé finement ses prochains cours, les images qui défilaient dans sa tête illustraient à la perfection ce qu'on attendait d'un professeur de découverte. Alors oui, ses propos étaient peu précis, trop larges, mais il savait, grossièrement certes, mais il savait, où il allait. Et cela était suffisant pour le directeur adjoint. Il peaufinerait sur le tas, en attendant, il était prêt à recevoir une classe.
Et à enseigner.

Cependant, Tito était réticent à l'idée de lâcher les élèves de l'E3 en pleine nature. Inutile d'être quelqu'un d'aussi rigoureux que lui pour songer aux dangers qui les attendraient au dehors. Il ne pensait pas aux bêtes, ou aux plantes vénéneuses, mais à ceux qui étaient à l'origine de la disparition d'élémentalistes. Et même du directeur de cette école.

Mais pouvait-on vraiment faire un cours de découverte à l'intérieur... ?

Bien bien. Ca m'va. J'suis OK, finit-il par dire, d'un ton bourru. Et bougon. Comment formuler ce qui le travaillait ? Il ne pouvait pas imposer à ce nouveau professeur de rester cloîtré dans l'E3. Le charisme n'allant pas forcément de paire avec l'éloquence, Tito était de ceux qui pouvaient écraser n'importe quel homme du regard et réduire au silence tout un groupe d'une simple moue. Mais lorsqu'il s'agissait de prendre la parole, de convaincre, cela devenait plus difficile. Il se racla la gorge, dissimulant cet instant de doute, et continua :

'Savez sûrement qu'y a des élèves qui ont disparu pas vrai ? Alors bon, sortir de l'école ça risque d'être bof bof vous comprenez ?

Il se leva alors, et commença à se diriger vers l'entrée du bureau, geste muet invitant le nouveau professeur à faire de même.

J'vous donne le poste. Mais siouplaît, restez dans l'école. Le parc, le lac, tout ça, OK. Mais c'est tout.

Ses yeux clairs parlèrent plus sûrement que le plus éloquent des hommes. Ils disaient « J'ai confiance en vous. Ne me décevez pas ». Sans un sourire, toujours aussi impassible, le directeur adjoint tendit une main massive à son interlocuteur.

Vous pouvez commencer demain. M'sieur l'professeur.